Ce mois-ci j’ai décidé de poser mes questions sur la psychosomatisation à Cécile Planche, psychologue clinicienne à Lyon. Un peu de théorie pour commencer afin de vous remettre en mémoire vos cours de psychologie de l’enfant.
Quand est-ce que l’on peut parler de psychosomatisation ?
La psychosomatisation pourrait être associée au stade du miroir, une étape importante dans la genèse psychique au décours des processus primaires et une avancée vers le processus de différenciation.
L’expérience du miroir révèle à l’enfant son visage et il se reconnait différent de sa mère. Il jubile car il peut faire bouger son image. Mais il déchante car il ne peut la faire parler, ni faire bouger l’image de sa mère. C’est la période où il apprend à distinguer entre ce qui est possible et ce qui est impossible, ce qui ne dépend pas de la volonté de ses parents.
Les personnes psychosomatiques restent dans la fascination de leur image, et la pauvreté du langage. Quand cette étape est mal intégrée, la maladie serait une sorte d’amour pour soi-même d’être à la fois maman et enfant. Certaines personnes doivent être malades ou souffrir pour qu’on s’occupe d’elles, la guérison serait le symbole d’une mort narcissique.
« J’ai mal au ventre. Je ne peux pas aller à l’école. » Les enfants somatisent parce qu’ils n’ont pas les mots. “J’ai mal au ventre” le matin avant d’aller à l’école signifie plutôt “je ne veux pas aller à l’école, j’angoisse pour le contrôle, de retrouver mes copains, de me séparer de toi »…etc…
Le corps raconte ce qui n’a pas pu être élaboré psychiquement. De quelle angoisse ou de quelle déprime s’agit-il ? En thérapie, on reprend l’histoire de la personne pour déchiffrer le sens et la fonction du symptôme.
Quelle branche de la psychologie serait la plus concernée par la somatisation ?
L’approche psychanalytique est une grille de lecture. Le Moi se construit entre la pulsion (le ça) et l’interdit (le surmoi). Le symptôme apparaît comme un compromis entre la pulsion et l’interdit, ce qui fonde et révèle notre conflit intra-psychique.
Les approches cognitivo-comportementalistes et thérapies brèves sont des approches techniques et pragmatiques pour aménager le symptôme de telle sorte qu’il soit moins gênant.
En quoi consiste votre travail avec des patients qui somatisent ?
Les aider à déchiffrer leurs symptômes qui les protègent et qui les gênent en même temps. Il est souvent difficile de créer un lien avec eux quand ils sont déçus de ne pas trouver une réponse immédiate à leur question « que dois-je faire ? ». Une première approche pragmatique peut leur donner confiance, et ils seront ensuite plus disponibles pour explorer le sens de leur symptôme en lien avec leur histoire.
Une patiente est venue consulter, elle avait incessamment des maux de tête qui la gênaient terriblement. Je lui ai demandé « à quels moment de la semaine vous n’avez pas mal à la tête ? » Elle m’a répondu que quand elle jouait au golf avec son amant tout s’effaçait. « Est-ce que vous pouvez avoir mal à la tête le lundi, le mercredi et le vendredi” » Mon but était de l’aider à ritualiser ses maux de tête et à les contrôler.
Il est bon de travailler avec la théorie du patient, pour le guider à se prendre en charge lui-même.
Le patient a-t-il conscience qu’il somatise ?
Oui et non. Il pressent au plus profond de lui que c’est plus ou moins organique, mais c’est souvent déroutant. Certaines personnes ont des difficultés à reconnaître le symptôme qu’il génère, ils sont mis à mal et impuissants pour faire face à leurs angoisses sous-jacentes. Les patients qui somatisent sont des personnalités narcissiques centrées vers eux-mêmes et sont en difficulté pour créer un lien et un transfert positifs.
Un déménagement, une nouvelle naissance, la perte d’un proche, des situations en écho à des expériences inquiétantes douloureuses ou traumatisantes dans leur enfance peuvent manifester des somatisations importantes.
Quel est votre outil principal face à la psychosomatisation de votre patient ?
La neutralité bienveillante est la meilleure attitude pour travailler sur le mal-être, l’angoisse.
Que pensez-vous de l’hypnose ?
L’hypnose fait partie des thérapies brèves orientées vers la solution. Cette technique m’a appris entre autres à être davantage proche du patient et à créer une bonne alliance thérapeutique.
« Quoiqu’on en dise, depuis Platon, Hyppocrate, jusqu’aux dernières observations de la science moderne, en passant par Groddeck, Jung, Lowen, Laborit, et nombre de professeurs en médecine, notre corps exprime précisément les problèmes que notre tête ne veut ou ne sait pas voir. Il en est ainsi, même si cela ne plait pas à certaines corporations. »
Eric Brabant (2003) Le corps et l’Esprit ne font qu’un. Le toucher face au langage de la mal-à-dit. Ed Natcom.