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Ciné-psy 29 Novembre 2018 – Psychologie et migration : clinique de l’exil

           Dans la continuité de la thématique « psychologie et migration », l’EPPpro de Lyon a organisé le 29 novembre dernier une conférence pour nous éclairer sur les problématiques de l’exil. L’école a ainsi reçu Muriel Montagut, psychologue spécialisée dans la clinique de l’exil.

La soirée s’est articulée en deux temps : nous avons d’abord visionné un TEDx présentant le témoignage de Abdul Kader Fattouh, jeune réfugié syrien. Vous pouvez retrouver la vidéo ici. A partir de ce témoignage, notre invitée nous a donné des clés de compréhension de la clinique de l’exil en passant par son parcours professionnel.

Le champ d’investigation de cette clinique a mené Muriel Montagut à intervenir sur le terrain, notamment en Syrie et au Kosovo, dans des contextes de crise. Durant ces voyages, de nombreuses trajectoires de vie aux multiples traumas lui ont été livrées. Un jour particulièrement, lorsqu’un homme lui raconte son passé et les tortures qu’il a subi, elle est en état de choc et décide d’élaborer quelque chose autour de ce récit : « je venais d’entendre la torture, maintenant il fallait la penser ».

C’est ainsi qu’elle rédige une thèse de sociologie clinique, Les possibilités d’être après la torture : sociologie clinique du système torturant, dans une démarche de compréhension socio-politique de cet acte. Elle s’oppose à la forte pathologisation de la torture. Selon elle, avoir des troubles après avoir connu ce genre de sévices est totalement normal. Ce qui est anormal, c’est la situation sociale dans laquelle est plongée la personne. C’est en comprenant le système d’emprise que l’on peut aider les personnes à s’en défaire.

Notre intervenante travaille aujourd’hui au centre Frantz Fanon La Cimade à Montpellier, qui vise à « renforcer le suivi psychique des personnes en exil en Occitanie ». Des consultations gratuites y sont prodiguées avec la présence d’interprètes.

 

Les problématiques rencontrées

Suite à la diffusion du TEDx, les principales défenses et les mécanismes psychologiques clés induits par la situation d’exil ont été dégagés.

Dans son témoignage, Abdul Kader Fattouh nous parle des choix qu’il a pu faire, de sa vie aujourd’hui et de la poursuite de son rêve : intégrer l’école de parfumerie de Versailles. Muriel Montagut souligne ici un mécanisme commun à de nombreuses personnes exilées : la réappropriation psychique des difficultés rencontrées. Les individus ne parlent donc plus de choses subies mais de choix, une manière de ne pas se positionner en victime et de se sentir maître de son histoire. Abdul Kader présente son départ de Syrie comme une décision personnelle plutôt qu’un impératif lié aux contraintes extérieures. La réappropriation psychique est en lien avec le concept de résilience (c.f. Boris Cyrulnik). Néanmoins, notre intervenante émet ses réserves quant à ce principe de résilience. S’il est mal compris, il risque d’enfermer les personnes non résilientes dans des représentations de personnes faibles et vulnérables.

Les personnes en situation d’exil ont généralement eu un parcours jalonné de séparations et de pertes douloureuses. A cela s’ajoute l’isolement social parfois extrême. Elles ont généralement subi des violences ou été victimes de trafic d’humains.

Suite à ces événements, des symptômes communs sont souvent identifiés. Parmi eux, un trouble dissociatif très marqué, parfois confondu avec des troubles psychotiques. Muriel Montagut parle du « trouble de l’être là », de la difficulté de se connecter au présent. Etant dans un état de mise à distance de leur histoire personnelle avec une isolation des affects, il est parfois très difficile pour les demandeurs d’asile d’être crus. Ils voient alors leur requête refusée sous motif d’une histoire fabulée (seulement 30% des demandes d’asile sont acceptées). L’incompréhension de la part des acteurs sociaux face à des personnes traumatisées peut occasionner des vécus forts de colère et d’injustice, avec le sentiment de ne pas être entendu. La psychologue explique qu’il est parfois difficile d’intégrer la violence que le discours que l’on reçoit peut contenir, « d’entendre la réalité ». « Le traumatisme, c’est tellement violent, que parfois on a besoin de se protéger de ces choses-là. Entendre n’est pas forcément évident ». A cela s’ajoute le fait que les professionnels sont très peu formés aux problématiques de l’exil. Les difficultés alors rencontrées dans la demande d’asile peuvent aussi constituer un vécu traumatique.

Au-delà de la dissociation, le clivage, les absences, les insomnies, les troubles du langage et les douleurs physiques sont très fréquents.

Après de tels traumatismes, le rapport à l’autre se trouve grandement altéré, le moi est en état de brisure. Les psychologues remarquent un fort défaut dans le lien, avec une méfiance des autres êtres humains et des capacités réduites à interagir socialement.

Il est typique que les personnes en situation d’exil connaissent un effondrement psychique suite à un choc secondaire. Par exemple, un refus de titre de séjour ne provoquera pas forcément de crise chez la personne concernée. La charge émotionnelle liée à ce refus peut en revanche se reporter sur d’autres événements aussi perçus négativement mais moins lourds de conséquences. Dans le cas d’Abdul Kader, l’effondrement psychique, se déclenche lorsque sa candidature dans l’école de son choix est refusée. Les vécus dépressifs et douloureux s’expriment donc plus dans un deuxième temps en se fixant sur des éléments mineurs.

[Question : avez-vous rencontré des personnes qui ont été dans le rôle du tortionnaire ?]

Muriel Montagut : « Oui. Surtout des enfants soldats. Donc à la fois des personnes qui ont torturé et tué, et des victimes. Je n’ai pas rencontré de tortionnaires dans d’autres contextes. Au niveau des traces que cela laisse, ce sont des personnes qui disent qu’elles n’ont plus le droit d’exister, qui ressentent trop de culpabilité. Il y a souvent le reste d’une image précise qui va focaliser toute la violence des événements, qui va cristalliser les tensions. ».

Elle ajoute ensuite que l’objectif est alors d’amener ces personnes à retrouver le sentiment de vivre.

Quel rôle pour le psychologue ?

Face à ce public très délicat à aborder, le rôle du psychologue est d’accompagner psychiquement les personnes pour leur permettre de se réapproprier leur histoire.

La démarche habituelle du clinicien consiste alors à explorer les marges de manœuvre et les ressources du patient. Il est aussi possible de prendre le contre-pied de cette démarche. « Il faut dire au patient qu’il n’est pas responsable de ses troubles, qu’il est dans un système d’emprise qui a une influence sur lui, sur sa manière d’être ». Muriel Montagut privilégie l’explication aux patients des conséquences et des manifestations de cette emprise dans leur vie, l’objectif étant de les amener à se défaire de leur « moi coupable, moi souffrant » régi par le système d’emprise pour retrouver le « vrai moi, le moi désirant ».

L’obstacle majeur auquel sont confrontés les psychologues est la barrière de la langue. Pour la dépasser et établir un contact, des interprètes sont souvent nécessaires en entretien. Leur présence implique immanquablement des changements dans le déroulement de la consultation. Selon notre intervenante, il faut considérer l’interprète comme un atout et exploiter au mieux ce changement : « je considère que l’interprète peut être un véritable co-thérapeute, il faut les former. (…) Ils vont faire le lien entre deux personnes qui ne peuvent pas se rejoindre, qui ne partagent pas la même langue ni la même culture ».

Du fait des différences culturelles, il peut parfois y avoir des choses difficilement exprimables pour le patient. Le fait de passer par un interprète peut être rassurant.

« L’interprète n’a pas le temps d’élaborer ce qu’il entend. Pourtant, une grande violence est transmise dans les paroles des patients ». Ainsi, le traducteur va transmettre inconsciemment les affects du patient. Travailler avec un interprète n’est pas donc pas une perte mais une richesse s’il est correctement formé et a développé une sensibilité clinique.

Dans les procédures de demande d’asile, le psychologue peut appuyer une demande d’asile en délivrant des certificats qui attestent de la véracité des dires du demandeur. Néanmoins l’existence de ces certificats est problématique car elle appuie le fait que la parole de l’individu ne se suffit pas à elle-même.

[Question : Comment accompagner les personnes très défensives ? Comment ne pas supprimer ces défenses trop vite ?]

Muriel Montagut : « Si on raconte un traumatisme trop tôt, ça renforce la souffrance. On peut parler d’autres choses que les traumas pour respecter les défenses. Il faut trouver « l’être, la chose à sauver », ce qui les fait tenir et leur donne envie de continuer à vivre (ex TEDx : Abdul Kader veut devenir Nez), trouver la personne ou la chose pour laquelle ils continuent de se battre et pour qui/quoi ils se mobilisent fantasmatiquement. »

Au-delà de l’obstacle culturel, c’est le cadre qui va être déterminant. L’état d’urgence dans lequel se retrouvent les personnes exilées ne doit pas empêcher de prendre le temps, temps nécessaire pour nouer du lien et trouver l’envie de se livrer. Le psychologue doit créer un climat sécurisant et contenant pour accueillir le patient et lui offrir un espace de liberté.

Dans la rencontre, la posture adoptée par le psychologue est primordiale. L’enjeu de cette rencontre va être de recréer le lien avec l’autre. Notre intervenante met en garde contre « la violence théorique ». Elle donne l’exemple de l’approche psychanalytique qui pointe une relation sadomasochiste vécue par le torturé. En imposant cette grille de lecture au patient, le psychologue peut infliger une violence supplémentaire à son patient. « Le psy doit apprendre à voir quand il s’enferme par pur confort dans ses théories en oubliant l’autre et ses spécificités individuelles, culturelles… ». Le risque est d’endommager davantage la capacité de création de lien du patient.

Muriel Montagut se considère avant tout comme témoin de l’évolution de ses patients : « je suis témoin de leur passage du monde des morts au monde des vivants. (…) On a partagé quelque chose ensemble, j’ai été témoin de leur traversée mais leur vie continue, c’est eux qui ont fait cette traversée, je ne fais que les accompagner ».

C’est avec un discours humaniste, basé sur la congruence et l’écoute, qu’elle conclut : c’est à nous, (futurs) psychologues, de mettre en œuvre la clinique qui est la nôtre, de créer notre propre approche pour être pertinent. Il faut aller au fond de notre manière d’être en tant que praticien.

Pour aller plus loin :

Comment devient-on tortionnaire ? – Psychologie des criminels contre l’humanité, Françoise Sironi 2017

Articles de Muriel Montagut :

L’emprise de la torture : les troubles langagiers des demandeurs d’asile face aux attentes institutionnelles, dans Langage et société 2016/4 (N° 158)

De l’événement dans l’espace thérapeutique de personnes ayant été torturées dans Nouvelle revue de psychosociologie 2015/1 (n° 19)

Les recherches sensibles : l’exemple d’une étude sur la torture dans Spécificités 2015/2 (n° 8)

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